Descente du fisc : qui peut donner accès aux données informatiques ?

L'ISI effectue une visite non annoncée le 02.04.2008 au siège d'une société faisant partie d'un groupe dont la société mère est établie en Irlande. Les fonctionnaires se trouvent face à une simple employée, l'administrateur délégué de la société n'étant pas présent (il était parti jouer au golf et avait éteint son téléphone portable pour se concentrer sur son stick). Les fonctionnaires se fondent, pour emporter des documents, sur l'art.61, §2 du code de la tva qui indique que « L'administration en charge de la taxe sur la valeur ajoutée a le droit de retenir les livres, factures, copies de factures et autres documents ou leur copie qu'une personne doit conserver conformément à l'article 60, chaque fois qu'elle estime que ces livres, documents ou copies établissent ou concourent à établir la débition d'une taxe ou d'une amende à sa charge ou à la charge de tiers. »

Ils demandent aussi l'accès à l'ordinateur de l'employée et font une copie de données informatiques qui sont hébergées sur un serveur établi en Irlande. Ces données leur permettent de découvrir que la société mère irlandaise a omis de facturer certaines de ses prestations avec application de la tva.

L'ISI adresse une contrainte (pour la tva non payée et pour les sanctions de 200%).

La société irlandaise conteste cette contrainte au motif que les données ont été recueillies de manière illégale, l'employée n'ayant pas autorité pour donner l'accès au fisc à ces données, hors de la présence de l'administrateur délégué.

Dans un jugement du 13.01.2012, le Tribunal de 1ère instance de Louvain va lui donner raison, au motif que dans le procès-verbal dressé lors de la visite d'avril 2008, il n'est pas fait état que l'employée a donné son autorisation à l'accès aux données figurant sur le serveur irlandais et que l'ISI a complété cette information manquant par un autre procès-verbal en date du 04.05.2010, dans le seul but, selon le Tribunal, de couvrir les manquements du premier procès-verbal.

L'Etat va en appel et l'affaire aboutit devant la Cour d'Appel de Bruxelles.

Dans un arrêt du 16.11.2016, la Cour donne raison à l'administration fiscale.

Elle constate tout d'abord qu'il n'appert de rien que l'employée aurait refusé l'accès aux locaux, aux documents et aux données informatiques, que l'administrateur délégué s'était lui-même en indisponibilité durant les heures de bureau en éteignant son téléphone durant sa partie de golf et que l'art.61 du code de la tva ne limite pas la consultation des données informatiques à celles situées au siège de la société ou en Belgique. L'argument de la contrariété au droit à la protection de la vie privée garanti par la Convention européenne des droits de l'homme est également écarté parce que la société a elle-même créé une confusion entre les données informatiques de la société belge et de la société irlandaise.

Celle-ci est donc déboutée et sort de la Cour avec une note particulièrement salée de plusieurs millions d'euros. Il fait peu de doutes qu'un pourvoi en cassation sera introduit.

Cette affaire nous pousse à examiner la question de la personne compétente pour donner l'accès aux documents et données informatiques lors d'une visite domiciliaire.

Si l'on se met du côté des contribuables et assujettis, on défendra la thèse qu'il faut qu'il s'agisse du contribuable ou assujetti lui-même (ou d'un de ses organes). Si l'on se met du côté de l'administration, on arguera que l'administration n'a pas à se préoccuper des pouvoirs des personnes présentes lors de la visite pour exiger la remise des documents et données informatiques.

Sur le plan de la tva, objet du litige, on ne saurait donner tort à l'administration. En effet, l'art.61, §1 du code de la tva mentionne que « toute personne est tenue de communiquer... ».

Si le législateur avait voulu restreindre cette obligation à l'assujetti lui-même ou à un de ses organes, il l'aurait mentionné de manière explicite. Or les termes « toute personne » sont sans équivoque. Il s'agit bien de quiconque est présent lors de la visite domiciliaire.

L'argument que cette autorisation ne concernerait que les données de l'assujetti n'est pas plus valable. En effet, le même art.61, §1 précise bien que l'obligation a pour objet « de permettre de vérifier l'exacte perception de la taxe à sa charge (ndlr : de l'assujetti) ou à la charge de tiers ».

En outre, le législateur a pris le soin d'introduire un §3 dans l'art.61 qui dit que « Les obligations mentionnées au présent article sont également d'application lorsque les données requises par l'administration sont situées digitalement en Belgique ou à l'étranger. »

Cet arrêt du 16.11.2016 semble poser un problème à certains défenseurs des droits des contribuables et assujettis, parce qu'il confirme que dans le fisc entre quelque part, il peut tout emporter, pour autant qu'il en établisse procès-verbal.

Aussi choquant que cela puisse paraître, ce sont pourtant les termes de la loi. Si le fisc organise une visite sans avertissement et que vous n'êtes pas présent, mais que votre conjoint, un de vos enfants ou votre technicienne de service ouvre la porte aux fonctionnaires de l'administration fiscale, c'est trop tard, ils peuvent emporter tout ce que leur permet l'art.61 du code de la tva.

Le fait de stocker ses données sur un serveur situé à l'étranger est aussi sans intérêt puisque l'art.61 autorise aussi d'y avoir accès.

La seule manière de vous protéger est donc de ne donner l'accès aux données que vous estimez confidentielles sur vos ordinateurs que par la protection d'un mot de passe que vous seul connaissez.

De ce fait, personne d'autre que vous ne pourra y donner accès et il nous faut rappeler que l'art.61, §2 mentionne aussi que « Ce droit ne s'étend pas aux livres qui ne sont pas clôturés ».

Le même article ajoute que « Lorsque ces livres sont conservés sous un format électronique, l'administration précitée a le droit de se faire remettre des copies de ces livres dans la forme qu'elle souhaite ».

Si ces « livres » ne sont accessibles que par vous, moyennant un mot de passe, cela vous donne le temps de la réflexion, surtout si vous n'êtes pas présent lors de la visite impromptue.

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